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Title

Processus décisionnels de requérants d’asile déboutés de Suisse : quelle est la marge de manœuvre des acteurs? Etude de l’importance des réseaux sociaux face à une décision administrative de renvoi.

Author Giada DE COULON
Director of thesis Dr. Janine Dahinden
Co-director of thesis
Summary of thesis

1. INTRODUCTION

 

Ce projet de thèse s’inscrit dans la continuité de mon mémoire en ethnologie s’intitulant : Des maisons sans racines. Regards croisés sur le retour non souhaité dans son pays d’origine. Le cas de cinq familles bosniaques.

Dans le cadre de ce travail, j’avais étudié comment des requérants d’asile déboutés de Suisse vivaient leur retour en Bosnie Herzégovine alors qu’eux-mêmes ne l’avaient pas souhaité. Je me suis notamment intéressée à la symbolique de la maison et du foyer. Selon la coopération internationale mandatée à la fin de la guerre d’ex-Yougoslavie par les Accords de Dayton (1995) de s’occuper des retours des réfugiés, cette nouvelle installation était perçue comme « un retour à la maison ». J’ai tenté, à travers la mise en relations des récits de vie des cinq familles bosniaques, de déconstruire la notion de maison et de comprendre comment pratiquement il était possible de créer une telle entité qui assure bien être et sécurité. A partir de cette réflexion, s’est développée une recherche sur la notion d’appartenance et son rapport à une nation. Le « chez soi » semble être moins lié à un territoire donnée, ce qui impliquerait une condition pathogène à toute migration (Malkki : 1992), qu’à un réseau de relations sociales et à un contexte personnel.

Forte des réflexions liées à ma première étude de terrain au sujet du retour non-souhaité en Bosnie Herzégovine, je désire poursuivre ma recherche en me focalisant sur certains points qui m’ont paru essentiels dans la compréhension de ce phénomène. Je choisi délibérément de ne plus m’attacher au contexte de la Bosnie Herzégovine pour des questions explicitées ci-dessous.

Il sera intéressant d’élargir mon questionnement à travers l’approfondissement de thématiques complémentaires et émergentes de ce premier travail. Lors de la rédaction de mon mémoire, une dimension importante m’a semblé manquer à une compréhension du retour, celle de la prise de décision de quitter la Suisse. Dans quel cadre se fait-elle ? Quels en sont les facteurs pris en considération ? Il me semble important de comprendre la dimension décisionnelle propre au migrant, raison pour laquelle je choisi de parler de retour ‘non-souhaité’, plutôt que ‘forcé’ qui impliquerait une focalisation plus institutionnelle. Ce projet de recherche vise à étudier le moment où la décision de renvoi d’une personne ayant demandé l’asile tombe et les conséquences de ce décret sur la perception du futur et de la vie de la personne sommée de quitter la Suisse. Pour ce faire, je choisi d’utiliser le concept d’agency qui fera écho au principe de la mobilité imposée, afin d’envisager les facteurs complexes intervenant dans la mise en place d’un retour non-souhaité.

 

2. PROBLEMATIQUE

 

Après une première réflexion menée dans le cadre de mon mémoire de fin d’étude, la question du retour non-souhaité reste ouverte et complexe. Au cours de ma recherche doctorale, j’aimerais l’aborder à travers une focalisation quelque peu diverse. C’est le concept même de l’action dite « forcée » qui sera interrogé. D’un point de vue administratif de la politique migratoire, une décision de renvoi semble laisser très peu de marge de manœuvre aux requérant-e-s d’asile débouté-e-s. Le retour dans un pays d’origine, alors qu’il n’est pas souhaité, semble dès lors ‘imposé’. La question de cette recherche est d’investiguer la complexité d’un processus décisionnel de l’acteur migrant dans le cadre, apparemment très restrictif, du renvoi de requérant-e-s d’asile dans leur pays d’origine. A travers cette focalisation, la recherche propose d’observer la capacité de chacun d’utiliser des ressources propres même dans des situations d’apparente imposition. Par l’analyse du processus décisionnel, il sera possible d’observer les facteurs qui composent un choix, en s’interrogeant notamment sur le sentiment d’appartenances en lien avec les réseaux sociaux.

Cette recherche de doctorat demande d’interroger la dimension contemporaine de l’expulsion de requérants d’asile dans leur pays d’origine en s’appuyant sur les convergences de corpus existant de la sociologie des migrations forcées et des études anthropologiques sur la migration du retour. Mon questionnement souhaite partir des débats et cas d’études du premier champ théorique pour l’appliquer au cas précis du renvoi. Le retour serait envisageable comme une nouvelle migration imposée.

Il est intéressant d’établir un parallèle à ces réflexions dans le cas précis du renvoi non souhaité dans son pays d’origine. La décision administrative qui impose à un-e requérant-e d’asile débouté-e de devoir rentrer dans le pays duquel il/elle est ressortissant-e, peut-elle être vécue (et par conséquent devrait être étudiée) comme une nouvelle « migration forcée » ?

« Le retour ne peut être qu’un exil supplémentaire, plus douloureux encore que la chaîne des exiles qui l’ont précédé parce qu’il est désenchantement. » (Rivoal 2006 :?)

 

Le domaine de recherche la migration forcée devra cependant être lui-même déconstruit dans un effort réflexif qui permettra réellement d’y intégrer la dimension questionnée ici.

Aujourd’hui la notion de ‘migration forcée’ est utilisée aujourd’hui à différents registres du langage (tant politique, quotidien que scientifique) (Zetter : 2007). Cette typologie entend souvent parler des personnes n’ayant pas eu le choix de quitter leur pays suite à un désastre humain ou écologique. Dans le monde contemporain néanmoins, les scientifiques attestent de l’existence croissante de flux ‘mixtes’, c'est-à-dire où la dimension volontaire et forcée, économique et politique s’entremêlent. Peut-on effectivement distinguer un domaine d’étude à part entière ? Il semble légitime de se poser la question de savoir si celui-ci requiert un objet, une méthodologie et un corpus théorique spécifiques (Bakewell : 2007). Pourquoi faudrait-il un champ d’étude propre lorsque l’on sait qu’un acteur n’est pas uniquement assujetti à une structure, mais que les deux s’interpénètrent, comme le postule la théorie de la structuration développée par Anthony Giddens dans les années 80.

Tout individu, bien que se trouvant ancré dans un système social et culturel, a la capacité de déploiement de stratégies et de ressources potentiellement utilisables qui peuvent influencer les cadres d’action. La recherche propose de sortir de ce carcan mental restrictif en évoquant la complexité du processus décisionnel (notamment à travers l’utilisation du concept d’agency) du migrant dans une situation de mobilité législativement forcée. La focalisation de cette recherche portera sur la personne migrante et sur sa perception, ses possibilités, ses engagements, ses actions face à une nouvelle mobilité présentée comme imposée par un ensemble législatif national.

Comme le rappel Backewell (2007), il est également néanmoins important de ne pas négliger les facteurs structurels influençant la personne qui se voit imposer le retour. La capacité de marge de manœuvre s’inscrit dans un contexte social, politique, économique et culturel donné. La politique migratoire, ainsi que son corps législatif, seront également considérés puisque c’est cette structure qui détermine partiellement la situation de ce statu juridique. Cela me permettra d’établir une réflexion sur le lien entretenu par l’individu par rapport à une structure sociétale spécifique.

 

Pour des raisons de faisabilité, j’ai choisi de délimiter mon champ d’étude au groupe réduit de personnes désignées par leur statu juridique comme ‘requérants d’asile’. Cependant, à l’image de Bakewell (2007), je ne l’entends pas comme un ensemble homogène et spécifique en soi. La catégorie de requérants d’asile n’a pas de relevance dans la majorité des actes quotidiens de ces personnes (de Genova : 2002). Le statu juridique de ‘requérant d’asile’, mais également la mobilité contemporaine, tout comme ses restrictions sont le fruit d’un processus historique. Ils sont ancrés dans un contexte national particulier, qui doit également être pris en considération. La décision de renvoi de personnes non citoyennes du pays s’ancre également dans un appareil législatif et politique donné. (De Genova : 2002). Ce statut, comme tout autre relevant de la loi, donne cependant accès à des droits et des devoirs spécifiques. Par conséquent, je considère les personnes requérantes d’asile, sur lesquelles portera mon étude, comme se trouvant insérées dans un environnement institutionnel, politique, économique et social distinct. Mon étude ne sera donc pas une tentative d’établir des distinctions entre les requérants d’asile et d’autres types de migrants.

 

Pour les mêmes raisons pragmatiques, je donne comme point de départ à ma recherche d’étudier exclusivement les requérants d’asile déboutés en Suisse. En effet, même si le renvoi de requérant-e-s d’asile débouté-e-s existe dans la plupart des autres cadres nationaux européens, je décide de limiter mon champ de recherche afin de pouvoir côtoyer dans un premier temps fréquemment mes interlocuteurs.

 

En partant de ces prémices théoriques et en utilisant une méthodologie qualitative, relationnelle (notamment l’étude des réseaux sociaux de mes interlocuteurs) et des questionnements empiriques, je souhaite analyser le processus décisionnel existant de la part des requérants d’asile déboutés afin de voir quels en sont les facteurs déterminants. Il s’agira d’essayer de comprendre l’existence (ou non) d’une marge de manœuvre possible de la part d’un-e requérant-e d’asile débouté-e en ce qui concerne une décision de renvoi. Cette personne reçoit comme décision ultime par une instance administrative cantonale qu’aucun statut légal ne lui sera accordé et qu’elle est sommée de rentrer dans son pays d’origine. Pays qu’elle a fuit quelques années auparavant. A travers de fréquents entretiens, il sera examiné quelles sont les issues possibles envisagées par cet individu. Le retour dans son pays d’origine est-il envisagé comme solution possible ? Si non, le départ dans autre pays est-il imaginé ? Ou alors l’entrée dans l’illégalité en restant en Suisse peut-elle être conçue? Pour comprendre ce processus de décision, je choisis de m’intéresser aux réseaux sociaux de ces personnes en posant l’hypothèse que celui-ci influence les choix à faire. La localisation des personnes ‘importantes’ influence-t-elle la réflexion ? Quelles sont les personnes mobilisables dans une telle situation ? A qui demande-t-on conseil ? A travers l’étude des réseaux sociaux, l’essentiel serait également de pouvoir dégager un questionnement autour du sentiment d’appartenances de ces personnes. A quel groupe se sentent-t-ils appartenir ? Se définissent-ils selon des appartenances culturelles, statutaires, relationnelles ou autres ?

Ces problématiques représentent le point de départ de mon questionnement, il s’agira ensuite de suivre les idées et questionnements émergeant du travail de terrain et des rencontres.

 

 

 

3. ETAT DE LA RECHERCHE

 

5.1 L’anthropologie des migrations

Comme l’évoque bien Monsutti dans son article (2005), les études sur les migrations ont pendant longtemps été divisées en deux dichotomie principales : les macro- et micro- théories. Alors que les premières s’intéressent plus particulièrement aux conditions structurelles d’ordre démographique et économique, les secondes se basent plus sur les choix individuels et rationnels des migrants. Une autre ramification a longtemps marqué la recherche, la différenciation des causes de la migration est restée confinée aux raisons soit économiques (et donc supposées ‘volontaires’) ou politiques (et par conséquent supposées ‘forcées’). Cependant, une typologie trop restreinte des migrants repose souvent sur une conception réductrice. Dans le cadre d’une société marquée par le transnationalisme et la mondialisation, il semble essentiel de prendre en considération les mouvements circulaires, ainsi que les relations sociales et transnationales les accompagnant.

Selon Cassarino (2004), c’est le transnationalisme, concept proposé au début des années 90 par l’anthropologie américaine postmoderne (Glick Schiller et al:1995) qui permet de dépasser ces premières études. Les études transnationales introduisent l’idée de la formation d’un espace social en deçà des Etats-nations. Cette nouvelle conceptualisation a développé l’idée que le retour ne signifiait pas forcément la fin d’une boucle. La migration est un processus, non pas un acte (Monsutti : 2004). De nombreux migrants restent très liés à différentes étapes de leur parcours de vie à travers des liens transnationaux, d’ordre économique, politique ou social. Grâce à cette approche, on peut dépasser l’aller – retour qui était considéré par les études de migrations classiques et envisager la migration comme étant circulaire.

 

3.1.1 La migration forcée

Alors que le phénomène de la migration forcée a toujours existé, l’importance de la recherche dans ce domaine peut-être ramenée à l’émergence de la naissance d’un champ académique distinct : les Refugee Studies. (Bakewell : 2007)

“During 1980s the study of forced migration has gained greater recognition as a legitimate academic field for research and instruction.” (Harrell-Bond, Voutira: 1992)

La dénomination de « réfugié » est appliquée aux personnes s’étant vues imposées une mobilité, sans que celle-ci soit forcément souhaitée et dont la cause a été reconnue selon les critères établis dans la Convention Internationale de Genève . Ce label, comme le démontre Zetter (2007) implique une certain nombre de droits et de devoirs au niveau législatif, et amène la recherche en sciences sociales à étudier certains aspects migratoires.

Il existe une définition administrative du terme ‘migration forcée’ donnée par l’International Association for the Study of Forced Migration :

‘[forced migration is] a general term that refers to the movements of refugees and internally displaced people (those displaced by conflicts) as well as people displaced by natural or environmental disasters, chemical or nuclear disasters, famine, or development projects.’

Cette définition implique qu’il s’agit d’une mobilité engendrée par une cause indépendante des personnes qui sont obligées par conséquent de se déplacer. Plusieurs études récentes problématisent le concept de migration forcée, notamment grâce à l’étude de l’agency dont fait preuve chaque acteur dans un contexte culturel et social donné. Celles-ci portent néanmoins de manière majoritaire sur la ‘prime’ migration qui est celle qui amène des migrants à quitter leur pays d’origine.

“There is an inherent contradiction in the notion of “forced” migration, which implies a lack of agency, whereas migration most certainly carries with it associations of choice and agency. […] An emphasis on agency and pragmatism within structural limitations contributes to the increasing recognition within the study of human mobility of the inability of bureaucratically imposed categories to “capture” actual movement” (Jansen, Löfving 2007: 6)

Les fréquentes inadaptations des programmes politiques basés sur des études scientifiques ont accentué le besoin de comprendre la dynamique sociale du processus migratoire. Ceci a amené à mettre l’accent d’avantage sur le rôle de la famille et de la communauté dans la considération de la migration et à l’étude des réseaux sociaux, du capital social et culturel comme facteurs importants dans le processus.

Force est de constater que le développement de ce champ d’étude comme autonome a amené une rigidification de la typologie des migrants et a amené à s’intéresser à certaines problématiques en fonction des catégories. Par exemple, l’étude de la migration forcée selon Fresia (in: Bakewell : 2007), s’est trop souvent restreinte à la recherche dans les camps de réfugié. Je rejoins ici Castels qui encourage à s’intéresser, également dans le cadre de ce qu’on appelle la migration forcée, à une dimension qui pendant longtemps a été celle de l’étude de l’acteur rationnel, migrant économique, supposé maître des sa mobilité :

“Forced migration need to be analysed as a social process in which human agency and social networks play a major part.” (Castels 2003: p.13)

Il semble important de s’intéresser à ces questions au sein des migrations forcées, qui permettent d’apporter un autre angle d’approche pour entrevoir à quel point celles-ci sont réellement imposées, ou non.

 

3.1.2 La migration du retour

L’étude de la migration du retour s’inscrit dans le champ anthropologique plus large de la mobilité des personnes. Elle désigne traditionnellement une nouvelle installation des personnes dans ce qui est considéré comme leur pays d’origine après une période déterminante passée à l’étranger. Ce terme n’implique cependant pas que la mobilité prenne fin ni que la personne ‘de retour’ s’installe dans le lieu même qu’elle avait quitté plusieurs années auparavant.

L’analyse de la migration du retour s’est développée à partir des années 60. Alors que l’approche néoclassique percevait le migrant comme un acteur rationnel qui mettait en place une stratégie pour palier aux différences de niveau de vie en migrant, son retour était perçu comme un échec. Le retour était alors étudié comme un acte isolé des conditions sociales, économiques et politiques.

Les études de cas ont néanmoins montré que le retour ne dépendait pas que d’un facteur de réussite ou d’échec. C’est cependant uniquement avec le structuralisme que le contexte a pris de l’importance dans les études sur la migration du retour. Gmelch (1980), dans ce courant, étudie l’impact du migrant sur sa société d’origine lorsqu’il rentre. Le structuralisme met également l’accent sur l’indexation du retour à la durée passée dans un autre endroit. (Cassarino : 2004)

C’est en réalité (comme il a été évoqué plus haut au sujet de l’anthropologie de la migration) le ‘tournant transnational’ qui a amené une autre perception de ce processus. Les scientifiques se sont alors rendus compte que le ‘retour’ ne correspondait pas uniquement à la fin d’une boucle migratoire mais à la continuation d’une mobilité qui restait ouverte.

Si les études sur les migrants qui rentraient dans leur pays d’origine représentent une littérature conséquente en sciences sociales, les recherches ont souvent détaché les différentes étapes de ce retour. Dès lors, diverses thématiques ont été traitée, comme l’illustrent brièvement Dona et Muggerdidge

“Research on return could be viewed as an encompassing two main trends; imaging return and the reality of post-return. From exile, return is envisaged through concepts like the meaning of home and belonging (Mc Michael 2002: Said 2000) and the prominent notion of the myth of return (Al- Rasheed 1994, Israel 2000; Zetter 1999). The reality of post-return draws attention to challenges similar to those researched in contexts of post-conflict reconciliation and re-integration (Arowolo 2000; Doná 1995; Essed et al. 2004; Kumar 1996; Long and Oxfeld 2004). Increased appreciation of the complexity of return has led researchers to overcome this distinction. The gap between pre- and post- return is bridged to studies that focus on the impact of exile on return (Farwell 2001; Rousseau et al. 2001)…” (Dona, Muggeridge 2006 : 415-416)

Ce n’est que récemment que l’on tente de percevoir le continuum présent dans ce processus dynamique qu’est le retour. Un large champ de recherche s’est alors développé pour comprendre quels étaient les facteurs déterminants qui pouvaient amener quelqu’un à vouloir revenir dans un pays quitté plusieurs années auparavant.

Je tenterai également de percevoir le continuum qu’il peut exister (ou non) dans les processus décisionnels de départ et ceux de retour. Il sera alors intéressant d’essayer de percevoir l’éventualité des récurrences dans ces deux phases, éloignées de par leur contexte

Dans le cadre de cette étude, les acteurs ne choisissent pas de rentrer, ce qui est une composante qui a été peu étudiée jusqu’à maintenant dans les études portant sur la migration du retour. Le retour n’est pas uniquement un acte volontaire, ni individuel. Il s’agit aussi d’une mobilisation de ressources qui peut prendre du temps. Il dépend de réseaux sociaux et des contextes nationaux.

Il est dès lors, je pense, fondamental de voir la perspective du retour comme une étape dans le processus de migration. Il s’agit d’une mobilisation des ressources, comme cela arrive à différents moments de la vie, raison pour laquelle il me paraît intéressant de mettre l’emphase sur l’agency possible lors de ce mouvement non souhaité.

 

3.2 Concepts

 

3.2.1 L’agency

Pour développer ce concept, il sera fait référence à la théorie de la structuration développée par Anthony Giddens, dans le livre ‘The Constitution of Society. Outline of the Theory Structuration’ (1984). Il s’agit d’une volonté de sortir de la dichotomie imprégnant les sciences sociales qui amène à voir soit la structure soit l’agent comme étant tout puissant. Selon cet auteur, il faut dépasser cette tension entre l’objet sociétal et la subjectivité individuelle. Se sont deux pôles complémentaires. Il reconnaît dans ce cadre une capacité d’action à l’acteur :

« L’acteur se caractérise fondamentalement pas l’exercice du pouvoir. Être acteur consiste, avant tout, à mettre en œuvre un ‘capacité d’accomplir les choses’, en particulier d’expliciter les comportements d’autres acteurs, mais aussi de transformer les circonstances, les contextes dans lesquels se tiennent les interactions. » (Nizet 2007: 20)

Dans la théorie de la structuration, Giddens estime que la réflexivité et le pouvoir sont les deux caractéristiques principales de l’agent. Parallèlement, les actions de l’agent s’inscrivent dans un espace et un temps, qui rappellent l’influence réciproque qu’exercent mutuellement les agents et les systèmes sociaux. Giddens choisit alors de s’intéresser à un processus dynamique d’avantage qu’à des entités statiques comme le sont les agents ou la structure.

Cette approche permet d’analyser la marge de manœuvre de migrantes et de migrants. Elle met en exergue leur relation à des contraintes structurelles extérieures, mais surtout l’interaction dynamique qu’il existe entre une action dite ‘imposée’ et ce que les agents en font. Pour parler de cette ‘marge de manœuvre’ Giddens se réfère, en anglais, au terme d’agency dont Emirbayer et Mische proposent une définition intéressante:

« Human agency, as we conceptualize it, entails the capacity of socially embedded actors to appropriate, reproduce, and, potentially, to innovate upon received cultural categories and conditions of action in accordance with their personal and collective ideals, interests, and commitments. » (Emirbayer et Mische 1994 cité par Emirbayer et Goodwin 1994 : 1442-1443)

Le concept d’agency est présenté, selon ces auteurs, comme facteur de changement. C’est parce que les individus peuvent avoir un impact sur la structure sociale que celle-ci est processuelle et en constante formation. L’utilisation de ce concept permettrait donc de mettre en exergue l’aspect dynamique des réseaux dans lequel s’insèrent les agents.

 

 

3.2.2 Appartenance

‘L’appartenance’ est une notion abstraite, souvent difficile à expliciter et qui, parallèlement, est souvent utilisée dans le registre commun ce qui pose quelques difficultés quant à son utilisation comme outil analytique. Je propose de l’évoquer en étudiant les pratiques empiriques et les discours de mes interlocuteurs mais également à travers la compréhension de leurs réseaux sociaux. La notion de “maison” avait été une manière d’évoquer les liens identitaires que les requérants d’asile déboutés entretenaient avec leur pays d’origine lors de ma première recherche. Ici, mon questionnement reste celui du processus identitaire au travers du terme cher à l’anthropologie ‘d’appartenance’. Ce questionnement étant difficilement normé, je choisi à nouveau de m’attacher à des relations concrètes pour en tirer des réflexions relevant des sentiments d’appartenance.

‘[…] belonging is not a given but is itself unstable, positing both states (of unbelonging) from which one comes, and possible future states of belonging to which one may aspire. […] Belonging should be seen neither in existential terms, nor as a discursively constructed, but a socially constructed, embedded process in which people reflexively judge the suitability of a given site as appropriate given their social trajectory and their position in other fields.’ (Savage, Bagnall, Longhurst 2005: 11-12)

Ce terme sera appréhendé dans une compréhension constructiviste ce qui implique que les appartenances sont construites et en constante évolution. Le sentiment d’appartenance n’est pas unique mais se module au gré des contextes. L’appartenance est ressentie par l’agent et ne peut être imposée par un tiers. Elle implique une identification personnelle par rapport à un groupe et s’inscrit dans les logiques sociales et culturelles multiples. Elle se forme notamment à travers les réseaux sociaux puisqu’elle tisse un champ social cohérant en deçà des Etats-nations. A l’inverse des théories transnationales, l’étude des réseaux sociaux démontre que les liens sociaux ne sont pas toujours basés sur la famille ou l’ethnicité mais parfois sur des liens associatifs ou communautaires (Cassarino: 2004)

 

4. QUESTIONS DE DEPART

 

Suivant le cheminement de ma recherche, un premier axe de recherche serait celui de repenser à travers une analyse approfondie l’action dite ‘forcée’. Il s’agit de réussir à différencier les composantes complexes d’un tel présupposé.

• La déconstruction du parcours migratoire des acteurs rencontrés, nous permet-il de mieux comprendre la part d’imposition d’une première migration ?

• Quels sont les facteurs ayant été pris en considération lors d’un premier départ de son pays d’origine ?

Ceci non pour les soupçonner de ‘tricheurs’ comme une certaine mouvance populiste le propose aujourd’hui, mais d’avantage comme une déconstruction plus précise des facteurs ayant amené ces personnes à migrer. Une fois cette question posée, il sera possible d’établir un parallèle avec le départ ‘forcé’ de Suisse :

• Quelle est la marge de manœuvre d’un-e requérant-e d’asile débouté-e, en Suisse, face à une décision législative de renvoi?

• Suite à la déconstruction de ce concept, peut-on parler de ‘migration forcée’ en anthropologie?

Au vue des champs d’étude développés par la sociologie des migrations forcées et l’anthropologie de la migration du retour, je souhaite encrer ma recherche à leur intersection, en étudiant les facteurs et enjeux intervenant dans une décision imposée. Suivant cette prémisse de base, il conviendra de poser des questions aux deux niveaux interprétatifs : institutionnels et individuel.

“By viewing repatriation as a form of migration, the study highlights the contrast between the discourse of external agencies, who perceive repatriation as a return to normality and an end to the refugee problem, and villagers, for whom cross-border migration is a normal part of life and a way to improve their livelihoods.” (Bakewell 2002: 42)

Ma recherche propose d’approfondir l’idée émergente de l’article de Bakewell, selon laquelle, en considérant le retour comme une nouvelle migration, la recherche peut continuer à se focaliser sur l’intersection des discours externes des institutions régulant juridiquement la mobilité avec celui des migrant-e-s eux-mêmes.

En parallèle à la réflexion de Zetter (2007) qui propose de voir la labellisation actuelle du réfugié comme découlant des institutions politiques dites « du Nord » (et non plus par les organisations humanitaires internationales comme l’auteur le postulait dans son premier article datant de 1991), astreignant ces personnes à un corpus législatif imposant les conditions d’un séjour dans un pays étranger, il s’agit de percevoir la part d’imposition qu’opèrent ces structures sur une personne requérante d’asile.

L’autre versant de cette réflexion sera celle de voir la part d’agency dont peut faire preuve une personne amenée à vivre la situation d’être renvoyée d’un pays où il/elle est venu demander l’asile.

• Un-e requérant-e d’asile débouté-e se voyant sommer de quitter le territoire suisse a-t-il/elle réellement une marge de manœuvre et une possibilité de choix ?

Si l’on en croit Monsutti (qui parle du cas de ‘réfugiés’ mais également en tentant de sortir du discours ‘victimisant’ des acteurs) ces personnes savent déployer leurs ressources culturelles et les utiliser si nécessaires.

‘En effet, les réfugiés ne sont pas de simples victimes d’un sort qui les dépasse ; ils savent utiliser leurs ressources culturelles pour s’adapter à des circonstances dramatiques ; ils développent un certain nombre de stratégies sociales similaires à celles des migrants économiques’ (Monsutti 2005 : p.36-37)

L’utilisation du terme de ‘ressources’ par cet auteur, nous ramène au concept du capital social développé par Bourdieu (1980). Celui-ci demande de considérer le type de ressources mis en jeu afin de comprendre ce que les réseaux sociaux amènent à ego.

• Quelles sont les types de ressources (culturelles, sociales ou économiques) déployées par un-e requérant-e d’asile débouté-e ?

• Est-ce que celles-ci permettent d’agir au delà de l’imposition législative ?

Il sera alors intéressant de voir quelles sont les ressources développées par des individus qui se voient imposer un retour dans leur pays d’origine alors qu’eux-mêmes ne le souhaitent pas.

Des auteurs comme Castels soulignent le rôle que les ressources, amenées notamment à travers les réseaux sociaux, jouent dans un processus de migration forcée :

« Forced migration needs to be analysed as a social process in which human agency and social networks play a major part » (Castels 2003:13)

L’emphase portée sur le champ d’action individuel et collectif par rapport à une limitation structurelle, me permet dès lors de comprendre les mécanismes en jeu lors de l’imposition du retour par des instances administratives.

C’est ensuite l’analyse des réseaux sociaux de mes interlocuteurs qui m’amènera à développer d’avantage ces problématiques. Dans un premier temps pour cette phase de la recherche, plusieurs thématiques seront abordées :

• Sur quel réseau social se sont appuyés mes interlocuteurs depuis leur arrivée en Suisse ?

• Est-il majoritairement transnational ou tourné vers la proximité géographique ?

• Quelle est la nature des liens ‘importants’ aux yeux d’ego : familiaux, amicaux, co-ethniques ?

• Une éventualité de ‘retour’ au pays d’origine est-elle discernée ?

• Le déplacement dans un pays tiers est-il envisagé?

Il s’agira ensuite de focaliser les questionnements sur le processus décisionnel provoqué par une décision de renvoi de la part des autorités suisses :

• Quelles sont les personnes à qui mes interlocuteurs font appel et demandent conseil dans une situation de renvoi ?

• Quelle est la nature des liens ‘mobilisables’ dans une telle situation : familiaux, amicaux, suisses, co-ethniques, associatifs ?

• Quelles sont les personnes qui influenceront une décision de retour ou non ?

• Sur quels critères se fondent les choix ?

 

L’accent mis sur les réseaux sociaux permettra de mettre en avant la perception ‘émic’ de l’appartenance.

Le développement de cette idée permettra alors au projet de thèse de faire le lien avec les prémices de départ en ce qui concerne l’interaction constante entre la structure et les acteurs. Comme je l’ai mentionné dans mon mémoire, les politiques migratoires des pays du nord, ainsi que des institutions humanitaires qui leur sont sujettes, présentent le retour dans son pays d’origine comme ‘la solution durable la plus souhaitable’ dans la majorité des cas de promotion du retour dans le pays d’origine. Cette vision des organes au pouvoir consacre l’imposition sédentaire d’une perception de la migration comme une situation transitoire ou même pathogène postulant l’appartenance comme étant liée à une nation et une nationalité (Malkki : 1992, 1995). La compréhension de l’appartenance comme un processus situationnel et construit permet de se détacher de la territorialisation de l’appartenance.

« Particularly important for a perspective towards the cultural organization of the global ecumene, too, networks allow us, as we follow them, to escape the constraints of place characteristic of most ethnographic formats. When culture as a collective phenomenon is understood to belong primarily to social relationships and their networks and only derivatively and without logical necessity to particular territories, then we can see how it is nowadays organized in the varied connections between the local and the long distance.” (Hannerz 1992: 40)

L’analyse réseau offre la possibilité de sortir de ce carcan de pensée encré au territoire national et à une culture. Il propose de comprendre les appartenances, décisions et processus migratoires à travers un autre paradigme. A travers l’analyse des questionnaires et des entretiens orientés, tels types de questions se poseront :

• Les relations sociales priment-elles sur des conditions structurelles politiques, sociales et économiques quant à une décision de mobilité ?

• Ces relations sociales représentent-elles une forme d’appartenance pour ego ?

 

 

5. METHODOLOGIE

 

5.1 État de la recherche

Pour ce projet de thèse, il est prévu que plusieurs éléments méthodologiques se superposent et se complètent, afin d’apporter une réflexion complexe et innovante de la thématique. Une des prémisses de base est celle d’utiliser une méthode inductive ; raison pour laquelle se projet de recherche reste volontairement large.

Sur le terrain, je privilégie une observation ethnographique soutenue et en interaction avec les personnes rencontrées. Je m’éloigne cependant de la proposition malinowskienne de l’observation ‘participante’, jugeant celle-ci idéalisée dans sa vision d’insertion neutre au sein d’un champ social. Il sera ensuite envisagé de procéder à des entretiens orientés qui découleront sur le questionnaire d’analyse des réseaux.

Les deux apports méthodologiques les plus prépondérants sont présentés ci-dessous.

 

5.1.1 La théorie ancrée

La théorie ancrée (grounded theory en anglais) a été développée par Anselm et Strauss dans leur ouvrage consacré : « The discovery and development of Grounded Theory methodology » (1967). Depuis, ces deux auteurs ont développé des écoles différentes quant à son application mais toujours suivant certaines prémisses de base.

Cette méthode a cherché à dépasser une tendance des sciences sociales qui, d’une part refusait d’envisager l’élaboration de théories pour la recherche qualitative et, d’autre part, distinguait la théorie de la recherche sociale empirique. Ils ont cherché à mettre en avant la transparence de la méthode qualitative en systématisant la récolte des données à travers notamment le codage et l’analyse. La recherche ancrée opère selon un processus intégré qui impose un va et vient constant entre les notes de terrain, les développements analytiques et le terrain. L’essentiel est de partir de questions ouvertes et modifiables et de laisser émerger du terrain une réalité et des questionnements faisant avancer la recherche. Aujourd’hui, l’application de la grounded theory est variée et parfois même contradictoire. Ça n’est pas une stratégie de recherche uniforme. Cependant, le fait d’opérer selon une méthode inductive, basée sur la comparaison entre les différentes analyses et temporalité de recherche, d’effectuer un système de codage et de catégories sont les caractéristiques spécifiques qui sont communs à cette méthode de recherche et d’analyse.

 

5.1.2 L’analyse des réseaux sociaux

Depuis quelques années, l’analyse qualitative des réseaux sociaux est à nouveau une méthode utilisée par l’anthropologie (en particulier urbaine). Alors que les écoles structuro- fonctionnaliste anglaise et américaine y avaient eu recours dans les années 30 déjà, l’anthropologie s’en était distanciée et c’est d’avantage la psychologie qui a eu recours à cette méthode.

Le postulat de base de cette approche veut que l’étude de l’insertion (embeddedness) sociale des acteurs et des institutions permette d’étudier la marge de manœuvre dont chacun fait preuve dans un contexte structurel donné. L’analyse de réseau permet d’introduire l’être humain comme un acteur social qui influence les autres autant qu’il est influencé par eux. Cette approche amène une meilleure compréhension des choix et des prises de décisions de certains individus.

Si l’analyse réseau peut-être souvent perçue en terme de fixité, l’accent mis par Granovetter (1973) sur les types de liens (forts, faibles, ponts) permet de percevoir l’aspect dynamique des réseaux. Son approche se veut révélatrice des moments clés du développement processuel d’un réseau. La composition du réseau social est influencée par la structure, les représentations culturelles et les attributs individuels.

L’analyse des réseaux est avant tout une méthode inductive qui demande de se détacher de catégories à priori et de laisser émerger des liens au fil de l’entretien. La recherche sort alors du paradigme fonctionnaliste qui voit les sociétés comme des cultures intégrées et distinctes. Il s’agit de s’intéresser à l’ensemble des relations sociales ramifiées à partir de chaque individu.

« Les réseaux restent toutefois un outil méthodologique pour comprendre les situations de mobilité qui caractérisent les sociétés contemporaines » (Monsutti 2005 : p. 41)

Pour cette recherche, l’appréhension à travers les réseaux me semble spécialement pertinente afin de percevoir l’interaction entre l’agent et la structure mais aussi la marge de manœuvre (et donc l’agency) du premier face à la deuxième. L’utilisation de la méthode des réseaux sociaux a auparavant déjà prouvé sa pertinence dans l’étude de l’anthropologie des migrations.

L’article de Bretell expose comment, pour l’analyse des réseaux sociaux (tout comme l’approche transnationale), la base d’étude n’est plus le migrant mais la famille et les relations qui l’entourent. L’analyse des réseaux prend en compte les relations et les systèmes sociaux ; ils démontrent que les réseaux migratoires facilitent plutôt que paralysent, sont fluides, perméables et expansifs. Les flux migratoires varient non seulement en fonction de l’économie ou de la politique mais aussi à travers ces réseaux. (Bretell : 2000)

Une fois encore cette auteure souligne l’aspect dynamique des réseaux qu’il est possible de mettre en avant grâce à l’utilisation de cette méthode. La question sera ici de percevoir quel rôle joue le réseau de relation dans le processus décisionnel qui est amené par une sentence administrative de renvoi.

« Migration always takes place in a social context. In particular, social networks have been found to underlie much migration. […] They have been found to influence the aetiology, composition, direction and persistence of migration flows, as well as settlement and integration processes. They can impact directly upon individual migrants by serving as conduits for information, social and financial assistance and cultural norms.” (Koser 2000 : p.96)

Jusqu’ici, au sein des études de migrations, l’importance des réseaux sociaux a été soulignée principalement au cours de différentes phases distinctes : la décision du départ, la phase de mobilité propre et l’insertion dans la société d’accueil, mais aussi dans le processus de ‘retour’.

“[…] the personal network also plays a role in the act of migration. According to network theory many people migrate with the help and encouragement of family, friends, and community members. […] Network theory anticipates that, controlling for a person’s individual migratory experience, the likelihood of migration will be greater for persons who have family or friends with migratory experience.” (Herman 2006:199)

Ces études montrent bien à quel point l’analyse du réseau social d’ego peut parler de l’influence de chacun au cours de la migration et plus spécifiquement au sein du processus décisionnel l’accompagnant.

L’analyse réseau rejoint la question de l’agency à travers un concept qui y est fortement rattaché. Le réseau social apporte des ressources à l’agent, notamment à travers la notion de capital social, développée principalement par Bourdieu (1980). Selon cet auteur, le capital se compose des les liens sociaux, de la durabilité, de l’utilité, de l’inconscient et il est lié à des compétences. Il demande un travail d’investissement en interaction permanente avec les autres acteurs. Le capital social est une notion importante de l’analyse de réseaux sociaux.

 

5.2 Application à cette étude de cas

Le projet de thèse développé ci-dessus, bien que très spécifique, reste volontairement ouvert aux apports de terrain qui pourront l’orienter encore d’avantage. Je souhaite suivre une approche qualitative interprétative qui demande de laisser émerger d’un premier terrain d’étude les thématiques qui paraissent importantes dans un tel angle de recherche. La théorie ancrée sera une première manière pour moi d’approcher le terrain. Cette méthodologie postulant pour une interaction constante entre le terrain d’étude et l’analyse des résultats, les questionnements du chercheur évoluent au gré des rencontres et des idées émergentes de discussions et réflexions. C’est à partir de ces prémisses que je souhaite développer ma recherche.

Il a également été choisi de ne pas partir d’une origine nationale commune pour délimiter mes interlocuteurs et interlocutrices. Comme il a été exposé dans la problématique, le statut de requérant d’asile débouté sera l’unique dénominateur commun, prenant sa pertinence dans le fait que ces personnes se trouvent au moment de l’étude dans un contexte structurel similaire. L’idée n’est pas de les percevoir comme un groupe homogène. Suivant Brubacker (2006), il est essentiel de sortir d’un certain primordialisme (ou ‘groupisme’) qui a existé en sciences sociales. On ne peut pas considérer comme point de départ d’une recherche une nationalité ou une culture en considérant qu’elle détermine complètement les individus. L’ethnicité relève d’une construction et est en perpétuelle négociation et élaboration. Elle est le produit de certaines actions. L’ethnicité existe sans les groupes et les groupes sans ethnicité.

Les interlocuteurs s’imposeront par conséquent au gré de la recherche. Mon regard se portera sur la formation d’un processus décisionnel dans un cadre temporel et spécifique donné, à partir d’interlocuteurs évoluant dans un champ social donné.

Pour cette étude, il semble pertinent d’opérer suivant une méthodologie qualitative qui combine différentes approches. Une première phase consistera à effectuer une observation au sein des centres collectifs où se trouvent les personnes en situation d’attente avant la mise en place par les autorités de l’organisation de leur retour. Le choix du centre s’offre de part le fait que des intermédiaires déjà connus pourraient m’y introduire à Lausanne. Cependant, au cours du terrain il faudra discerner si cette première détermination n’apporte pas un biais, vu que les gens ont déjà fait un premier choix en se trouvant là. Peut-être sera-t-il intéressant de rencontrer comparativement ayant refusé l’entrée en centre. Il s’agira de passer le plus de temps possible avec ces personnes afin d’également appréhender leur quotidien.

Les rencontres de différentes personnes permettront d’établir un premier lien avec certain-e-s qui deviendront, dans la mesure du possible, mes collaborateurs et partenaires privilégiés pour approfondir la recherche. Avec ces personnes, il conviendra de lier les approches d’entretiens orientés avec celui de l’étude des réseaux sociaux. L’utilisation de méthodes multiples demandera une première réflexion sur la manière de les assembler. Effectivement, peut-être se révélera-t-il important lors des entretiens semi-directifs, visant à l’élaboration de récits migratoires, de mettre l’accent sur les personnes proches (ou non) ayant influencés les divers processus de décisions au cours du parcours migratoire. Cette perspective facilitera, dans une troisième phase, la focalisation sur l’analyse des réseaux sociaux.

Ici, la décision administrative de renvoi serait le moment clé qui orienterait le questionnaire « réseau », c'est-à-dire que l’enquête de réseaux sociaux chercherait à mettre en évidence les acteurs qui interviennent dans ce processus de décision. Pour cela, j’établirai un nombre restreint de réseaux personnels (estimé à 20), en élaborant des questionnaires ‘générateurs de noms’ pertinents pour la recherche. Ceux-ci consistent à poser des questions qui suscitent l’énumération de noms (dénommés Alteri) en termes de relations. Je m’attacherai à comprendre la signification émique de ces relations et la symbolique que mes interlocuteurs leur prette. A travers le questionnaire, il s’agira de mettre en lien l’importance émique des réseaux sociaux avec le processus décisionnel. Il sera important de réaliser sa place et sa valeur à l’heure où un choix s’impose.

Je souhaite, pour ma recherche, m’appuyer sur l’étude de réseaux sociaux de ces personnes à qui la perspective d’un retour au pays d’origine est imposée, en postulant que l’inscription dans certains réseaux à un moment de leur vie parle également des liens d’appartenance ressentis et vécus.

Les processus décisionnels étant lents, tant à l’échelle individuelle qu’administrative, il paraît important de pouvoir suivre ces interlocuteurs sur une longue période de temps. Cela permettra notamment de souligner toute la complexité d’une décision, dans laquelle intervient non seulement le contexte socio-économique et culturel, les réseaux sociaux, la situation personnelle mais aussi les autorités législatives, et bien d’autres facteurs encore.

Vu que ce travail porte sur des personnes qui sont poussées à une migration, il est possible que le premier terrain relève l’importance des réseaux sociaux transnationaux afin de comprendre les enjeux derrière le processus décisionnel. Le fait de pouvoir ‘suivre’ les réseaux en rencontrant les personnes apparaissant dans le questionnaire ‘générateur de noms’, amènerait probablement à une vision plus large des marges de manœuvre et décisions prises par ‘ego’. La possibilité, par conséquent, d’effectuer une enquête ‘multi-site’ (selon les termes intronisés par Marcus (1995)) n’est donc pas à exclure. Celle-ci prône de ne plus s’attacher à la sacralisation d’un lieu géographie (et par conséquent à une culture supposée homogène) comme objet d’étude, mais de privilégier la pertinence de différents lieux émergeant d’une recherche de terrain, en suivant les personnes, biens ou connaissances. Il serait sûrement pertinent de continuer à dialoguer avec mes interlocuteurs une fois que le choix aura été concrètement réalisé, afin de voir l’évolution de leur perspective. Cependant, la méthode inductive amène à ne pas le postuler au départ mais à laisser émerger cette éventualité d’une première analyse de terrain.

 

4.1 Temporalité de la recherche

 

Juillet-décembre 2008

Premiers terrains exploratoires au sein des centres d’urgence de Lausanne.

Entretiens qualitatifs avec interlocuteurs (requérants d’asile, responsables d’associations de soutien, responsables des centres, service de la population, EVAM)

Janvier 2009-juillet 2009

Mise en place de l’analyse réseaux. Questionnaires réseaux sociaux ‘générateurs de noms’, qualitatifs.

Août 2009-janvier 2010

Analyse des premières données. Entretiens avec autorités.

Janvier-juillet 2010

Eventuels déplacements demandés par la pertinence des réseaux sociaux et du déplacement des interlocuteurs. Développement d’une ethnologie multi-site.

Septembre 2010-2011

Rédaction de la thèse et valorisation des résultats

 

 

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